Culture : Michael Jackson ou « Rex nunquam moritur »
- Manon Dubernard Fernandez
- 26 févr. 2023
- 6 min de lecture
Le 25 juin 2009, abasourdi, le monde entier apprend que le cœur de Michael Jackson a cessé de battre. L’onde de choc est planétaire. Tous les médias sans exception relayent cette tragique nouvelle, plongeant nos 5 continents dans un deuil inconsolable. Le petit garçon que la Terre entière a vu grandir n’aura vécu que cinquante années.

Avec la mort de Michael Jackson disparaît le chanteur le plus connu au monde. Mais il semblerait que l’artiste n’ait pas dit son dernier mot. Quatorze ans après son départ, le Roi de la Pop continue à faire parler de lui. La vie de l’artiste fera sous peu l’objet d’un nouveau biopic intitulé Michael, a annoncé Lionsgate, qui détient désormais les droits de distribution. Le film sera coproduit par Graham King, producteur de Bohemian Rhapsody, ainsi que par John Branca et John McClain, qui sont à la tête de la succession de Jackson.
Avec plus de 240 récompenses, Michael Jackson est l'homme le plus primé de l'histoire dans le domaine musical. Selon le Livre Guinness des records et le Rock and Roll Hall of Fame, il est « l'homme de spectacle le plus populaire de tous les temps ». Ses tubes ont, pour beaucoup, pulvérisé les records de vente. Ses 45 tours de “double platine” ont raflé les premières places de tous les palmarès, Top 50 et autres “charts”, à la vitesse des missiles. Son influence sur les arts populaires a été considérable. Un nombre incalculable de photos, de jeux vidéo et de parodies à travers le monde ont transformé le chanteur en icône. Dans sa propriété Neverland, il a construit un Disneyland à lui tout seul. Chantant d'une voix de ténor falsetto ses histoires d'amour, de fraternité et de danse, The King of Pop a mêlé la soul music et le funk des Noirs avec la pop et le rock des Blancs. Il est aussi connu pour ses chorégraphies inouïes, dont le moonwalk auquel il a donné le prestige de son pas glissant. C’est dans son premier album solo Off the wall que Jackson nous laisse découvrir sa connaissance inégalable de ce que la musique africaine américaine a de brillantissime. Mais le chemin qui l’a mené à posséder deux étoiles à son nom sur le Hollywood Walk of Fame fut tortueux et non sans difficultés. Artiste génial, torturé aussi, polémique souvent, sa vie ne fut pas un long fleuve tranquille.
Michael dut prendre sa place dans le monde de la musique lorsque son père, Joseph Jackson, fit signer en 1967 à cinq de ses fils un contrat avec la fameuse compagnie Motown qui fabrique des superstars. Avant cela, ils participaient déjà à bon nombre de concours amateurs et travaillaient dans des boîtes de strip-tease pour payer les divers frais engendrés par leur succès. Très vite, Michael suivit le même pas rythmé que ses aînés, tous clonés en starlettes avec coiffure afro, costumes colorés et bagues d’or aux doigts. Les frères vendirent plus de 200 millions d’albums. Depuis sa première scène à 5 ans aux côtés des Jackson’s Fives à sa dernière interprétation d’Earth Song quelques heures avant de mourir, Michael Jackson aura mené la danse pendant 45 ans. Le petit génie auquel on fit chanter à dix ans déjà des paroles d’adultes aura vécu son destin.
Élevé à la douleur de la persévérance sous les coups et les injures, le jeune prodige fit preuve tout au long de sa vie d’un perfectionnisme ahurissant. A force de talent, d'énergie, de travail et de formidable ténacité, il mena ses chansons - dont il est auteur, compositeur et interprète - au sommet de la célébrité.
Somme toute, cette célébrité eut un prix. Si Michael Jackson devint rapidement un phénomène planétaire déchaînant les passions et les foules, il a aussi très vite dû affronter les chroniques les plus agressives. Il fut maintes fois blâmé par les milliers de tabloïds et journalistes à scandale qui « font circuler des mensonges et occultent des vérités, assassinent et mutilent » ; paroles énergiquement chantées dans Tabloïd Junkie. Mort-vivant qui sommeille dans un caisson, ni homme ni femme, prédateur sexuel et même détenteur des ossements d'Eléphant Man : on a tout raconté sur Michael Jackson. Un extraterrestre ? C'est la question, parfois sérieuse, que des médias hystériques ont posé à propos de l’homme. C’est cette rançon de la gloire, Price of fame, qui a émaillé la vie tumultueuse de Michael Jackson. Il faut dire que son apparence et son apparente difficulté à vivre dans notre monde plaidaient en ce sens...
Dès ses premières années d’explosion médiatique dans les 70’s, Michael Jackson se plaît à interpréter une enfance qui lui file entre les doigts. Sa chanson With a child heart annonce sa pieuse croyance en la pureté de l’enfance, seule capable de rendre le monde supportable et lumineux à ses yeux. Cette glorification et protection de l’enfance accompagnera Michael tout au long de sa carrière, notamment dans l’écriture de The lost children ou encore Little Susie. Son apparition sous les traits de l’épouvantail - pas si effrayant - Scarecrow dans le remake du Magicien d’Oz en 1978 (ndlr : The Wizz aux côtés de Diana Ross) a précisé son identité d’artiste. Michael Jackson a précieusement cultivé ses chimères peuplées de créatures extravagantes, fabuleuses, et d’enfants immaculés. Cette douce étrangeté, une pathologie pour certains, fut la raison d’être de l’artiste qui ne pouvait vivre avec les autres que derrière un masque, un rideau de scène, et un déguisement. Elle lui a permis de vivre artistiquement son refus du monde réel, préférant vivre à travers l’illusoire des contes pour enfants qu’on ne lui a sans doute jamais lus. Thriller - album le plus vendu de tous les temps - est la consécration de l’imaginaire fantastique que M.J. nous laisse voir. Nous avons affaire à un petit Poucet égaré, entraîné par la vague de son talent, semant les cailloux qui le ramèneraient à l’enfant étrange qu’il ne cessa d’être. On évoque régulièrement le syndrome de Peter Pan pour appréhender Michael Jackson et son refus de grandir. D’ailleurs, c’est dans le clip de sa mélancolique chanson Childhood que nous retrouvons le monde imaginaire de l’œuvre de J. M. Barrie. L’artiste transforma talentueusement en art la violence de ses tourments. Jackson avait aussi volontiers baptisé Neverland la propriété dans laquelle il vivait en référence au Pays imaginaire de Peter Pan. Il la peupla de hordes d’enfants et d’animaux exotiques : on pouvait y trouver des éléphants, des lions, des girafes, et bien plus encore... Ce parc d'attractions privé était pour lui le moyen, bien qu'adulte, de rattraper l'enfance qu'il n'avait jamais eue, en y invitant par dizaines des enfants défavorisés ou malades.
Au fil des années, nous sommes devenus spectateurs de l’accumulation des troubles identitaires de l’homme, dont la quête de blancheur et d’androgynie révèle à bien des égards les tiraillements de la communauté afro-américaine confrontée au racisme et au sexisme. On ne peut omettre l’altération de son visage qui, par les mains expertes d’un essaim de chirurgiens, perdit les splendides traits de sa jeunesse pour s’abîmer en gueule de loup puis en faciès de cadavre.
Malgré tout, Michael Jackson n’a jamais cessé d’être reconnu comme afro-américain et, plus encore, comme un héros du monde noir. Musicalement, son talent inégalé et son succès indiscuté ont permis que, pour la première fois, un artiste noir conquière tous les hommes sans distinction, Blancs et Noirs, de tous âges et de tous milieux sociaux. Par ailleurs, à travers We are the world, Earth song ou They don’t care about us et Black or white,le Roi de la pop a promu un monde sans race, sans guerre, sans famine et sans mal, une utopie qu’il partagea avec les nostalgiques des 60’s. Non seulement il chanta avec Paul McCartney, mais il s’est aussi souvent référé à John Lennon et Martin Luther King lorsque, dans son titre messianique Man in the mirror il explique que chaque homme est responsable du monde qui l’entoure et qu’il se doit lui-même de l’améliorer.
« Oh god he's taking Demerol… » (ndlr: tragiques paroles de Morphine). L’addiction mortelle aux médicaments pour survivre à la célébrité a conduit l’homme dans les bras de la faucheuse. Plus tôt, en 2005, le chanteur avait fui son pays natal, s’exilant avec ses trois enfants afin de tenter d’échapper à la nuée médiatique qui avait entouré son procès pour pédophilie. Si Michael Jackson avait fini par être acquitté, cette épreuve ne l’en avait pas moins dévasté - financièrement, physiquement et émotionnellement. Tout au long de sa vie, Michael a fait parler de lui. Qu’il soit idolâtré ou détesté, la star était d’abord un être humain, un homme tranquille et un père aimant, très différent du personnage décrit par les tabloïds. Finalement, avoir chanté Heaven can wait n’aura pas sauvé l’artiste de l’inéluctable destin des hommes. Michael Jackson est mort comme il a vécu : en star parmi les stars, laissant dans son sillage bon nombre d'interrogations sans réponse. La nature ayant horreur du vide, ces mystères « jacksoniens » sont régulièrement comblés par des rumeurs à la hauteur de la célébrité de Michael Jackson : monstrueuses.
Gone too soon, Michael Jackson laisse le souvenir d’un homme enfantin torturé par ses démons, qui exaltèrent son génie et le transformèrent finalement en figure fantomatique. L’ultime image d’un visage blême dans des draps d’hôpital et à demi caché par le matériel médical est tragiquement fidèle à ce qu’il fut : un homme aux masques, évoluant entre la haine de soi et la fascination pour celui qu’il aurait aimé être.
Et ce n'est pas fini ! Aux dernières nouvelles, Michael Jackson n'est pas mort !... A en croire les fanatiques optimistes qui, vidéo à l'appui, disent l'avoir vu bouger lors de son transfert en hélicoptère… après son décès. En toute logique, Michael Jackson serait actuellement sur une île. Avec Elvis et Marylin ?
Manon Dubernard Fernandez
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