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Le réseau Europe Direct : s’engager pour informer

J’entre dans la maison des solidarités de Lille, située dans le quartier de Fives. Ambiance chill, canapé en récup, babyfoot en carton, et espace détente : tout pour séduire !


Un peu plus loin, des tables de travail, dans une salle encadrée par les bureaux des associations qui siègent dans le bâtiment. Il y a pas mal de beau monde, mais je n’ai pas le temps de faire le tour. 15h30. C’est l’heure de mon rendez-vous. Je me présente devant la porte d’Interphaz, une organisation de l’économie sociale et solidaire, et frappe. On m’ouvre et je découvre une jeune femme souriante : Natacha Cailler, cheffe de projet Europe de l’association, en charge donc du label Europe Direct que détient l’association depuis 2018.


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Qu’est-ce que le réseau Europe Direct ?


Le réseau Europe Direct est un label attribué par la Commission européenne dans le cadre d’un appel à projet. 49 organisations se l’ont vu donner en France, et 430 au niveau européen. Ce label permet de reconnaître la participation à des projets d’information et de sensibilisation à l’Union européenne.


Parmi tous ceux qui disposent de ce titre, il y a différents types d’associations. Très souvent, les structures du type Maisons de l’Europe le possèdent, mais tous types d’acteurs peuvent le détenir, notamment parce qu’il n’empêche pas une certaine spécialisation. Par exemple, notre association Interphaz se centre plutôt sur les enjeux de transition écologique et d’inclusion, et cela se remarque dans le type de communications que nous pouvons proposer.


En termes d'activités à proprement parler, nous avons un premier volet qui tourne autour des activités grand public. Ça va être des conférences, des tables rondes. Mais le type d’évènements proposés dépend aussi beaucoup du public. Nous organisons pas mal de soirées culturelles pour aborder l'Europe d'une autre manière. C'est-à-dire qu'on peut faire des soirées cuisine sur un pays européen et en profiter pour discuter d'Europe. C'est vraiment une autre approche qui permet d’attirer des gens pas du tout sensibilisés à l'Europe. C'est pour l'instant les événements qui marchent le mieux à notre niveau. Pour les conférences, par contre, c'est un petit peu compliqué à mobiliser. Mais il y en a dans d'autres régions où les conférences, ça marche super bien. Donc ça dépend vraiment du public. Et c'est pour ça que l'Union européenne veut qu'on soit au plus proche des citoyens parce que, en fonction de l'environnement, du contexte, les gens ne recherchent pas forcément la même chose.


Le deuxième volet se situe au niveau des écoles - plutôt collèges, lycées. Le but est d’expliquer le fonctionnement de l'Union européenne parce que ce n’est pas forcément facile. On reçoit aussi beaucoup de documentation, des supports que les enseignants peuvent utiliser pour les élèves, des expositions qu'on peut prêter et tout ça reçoit des financements. C'est un service gratuit. Après, nous ne sommes pas assez nombreux, donc nous ne pouvons pas non plus aller dans toutes les écoles, tous les jours. Notre secteur d'intervention, c'est la métropole de Lille, et on travaille en réseau, avec les autres acteurs de la région. On peut avoir des échanges d'outils, de bonnes pratiques. C'est l'avantage d'être en réseau aussi. On voit ce qui fonctionne chez les autres pour tester la même chose chez nous.


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Peut-il y avoir une concertation de tous les Europe directs de tous les pays ?


On a des rencontres, mais comme on est 430, c’est trop énorme. Par contre, l'année dernière, on a eu une rencontre régionale avec certains pays où là, on a échangé sur des thématiques importantes qu'on retrouve parmi nous. On discute de comment traiter un thème, sur quel outil on aurait besoin de la part de la commission pour mieux communiquer, pour mieux expliquer.



Dans ces échanges d’outils, y a-t-il des échanges de méthodes entre les pays pour mobiliser des électeurs ?


C’est une question très culturelle. Ça concerne la façon de penser des gens, le contexte culturel ou historique de chaque pays qui fait que l'on a plus ou moins de personnes qui vont aller voter. Donc oui, s’il y a des choses qui sont mises en place, la coordination n'est pas aussi globale. Les pays d'Europe de l'Est ou les pays où il y a plus de taux de participation vont faire une campagne beaucoup plus importante. Après, la France est connue pour ne quasiment pas parler des sujets européens à travers la télé publique. Ça, c'est une particularité de la France, et seul le gouvernement pourrait changer ça.


En plus, il y a une autre difficulté. Certes, on vote pour des gens qui sont affiliés à des partis. Mais on ne sait pas forcément que ces gens se dispatchent ensuite dans des partis transnationaux au niveau européen et qui regroupent différents pays. Donc, pour se concerter et mobiliser, c’est difficile.



Les élections européennes sont pour bientôt : qu’est-ce qui, à travers votre expérience, semble pousser les gens à aller voter ?


J’avoue que je n’ai pas un très long recul là dessus parce que je suis arrivé dans la structure il y a un an. Donc je n'étais pas là aux précédentes élections de 2019. Mais ce que j'ai entendu des autres, le moment charnière, ce sont les trois semaines avant les élections. C’est à ce moment-là que les gens se décident à aller voter ou pas.


Donc plus on se rapproche des élections, plus ça va être important. Et tout va dépendre aussi des sujets d'actualité. Si trois semaines avant les élections, il y a un sujet qui ressort et qui est dit par les médias et à travers les réseaux sociaux que l'Union européenne va avoir son mot à dire dessus, évidemment, ça peut motiver les gens à aller voter, ou pas. Aux dernières élections, il y a eu beaucoup plus de participation par exemple. Après, tout est relatif. Mais ce qui est sûr, c'est qu’il y a eu plus de participation que pendant les élections précédentes en Europe. En France, ça été moins vu. Il y a eu moins de différences. On est à peu près de 50 % de participation. Une explication à ça, c'est que c’est l'élection qui est la plus éloignée des Français, entre guillemets. C'est celle qu'ils comprennent le moins. Et puis, on a l'impression qu'en votant, on n'a pas d'impact en tant que citoyen. C'est ça qui est compliqué. En fait, pour les élections européennes, on a l'impression que les décisions sont prises très, très loin et qu'elles n'ont pas d'impact sur notre vie quotidienne. Donc les citoyens ne voient pas forcément l'intérêt de faire le déplacement jusqu’au bureau de vote. En plus, c'est complexe à comprendre.



Mais, les députés élus au Parlement n’ont pas le droit de proposer des textes. Finalement, ça sert à quoi d’aller voter si on vote pour des gens qui ne peuvent rien proposer ?


Effectivement. Au sein de l'Union européenne, l'institution qui propose les lois, c'est la Commission. En fait, ce sont des techniciens qui ne sont pas élus. Mais les députés ont un poids : ce sont leurs amendements. C’est sur ce plan-là qu’ils peuvent décider.


Concrètement, la Commission européenne fait une proposition. Les députés ont alors le droit de dire oui ou non. On vote pour ou contre. Mais ils ont aussi le droit de rédiger des amendements, donc de modifier le texte initial. Ce droit, ils l’ont en binôme avec le Conseil de l'Union européenne. Qu’est-ce que c’est que le Conseil : c’est un conseil des ministres. En gros, ce sont les ministres de chaque pays membre qui se réunissent. Les ministres de l'éducation, les ministres des affaires étrangères… Eux aussi ont un droit de regard sur le texte qui a été proposé par la Commission. Or, puisque les citoyens élisent le président français, et que le président français choisit ses ministres, c'est par ce biais là que les citoyens ont aussi un poids. Certes, c’est moins direct que l’élection des députés européens.


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Mais, ne parle-t-on pas souvent d’une contradiction entre le Parlement européen d’un côté et le Conseil de l’autre ? Avec l’idée qu’au final, les députés n’auraient pas le droit de parler ?


Il faut garder en tête que l'Union européenne, c'est vraiment un triangle. C'est ce qu'on appelle le triangle législatif. Au sommet, on a effectivement la Commission qui va proposer des lois. A la base, par contre, on a le Conseil de l'Union européenne et le Parlement. Les députés peuvent voter, faire des amendements et, in fine, ils peuvent valider ou invalider la loi qui a été proposée. Donc on joue à parts égales entre les deux.


Forcément, il y a des tensions. Il y a des gens qui ne sont pas d'accord, comme partout. Mais c'est comme ça que ça fonctionne. Après, tout dépend beaucoup de la façon dont cela présentée dans les médias. Encore une fois, on parle très peu d'Europe dans les médias, et les choses ne sont pas forcément très claires. Donc c'est un problème par rapport au choix des citoyens. Comment un citoyen peut-il choisir s'il n'a pas toutes les informations ?


Est ce que c'est une décision qui est pris au niveau national, donc au niveau de la France ou de l'Allemagne ? Ou est ce que c'est une décision qui est prise au niveau de l'Europe ? Au niveau du Conseil, ou du Parlement. Des fois, aussi, les gouvernements eux-mêmes “oublient” aussi un petit peu de préciser qu’ils ont pris cette décision ou qu'ils ont eu des aides financières parce que l'Union européenne était derrière. Par contre, dans le cas des mesures contestées, ils pourront dire que ça vient de l'Union européenne. On le voit avec les manifestations des agriculteurs qui dénoncent notamment le Pacte vert.


Il y a beaucoup de choses qui semblent aller contre les citoyens. On peut penser que certaines normes assez oppressantes ne sont là qu’à cause de l’Europe. Mais j'avoue que là, je ne suis pas spécialiste. Pour prendre un exemple très concret, par contre, du fait que l’Europe n’est pas assez mentionnée, on peut prendre le cas du plan de relance français suite à la crise COVID. Il y a eu je ne sais pas combien de milliards pour financer ce plan de relance, et 40% des financements venaient de l'Union européenne. Ce serait bien de le préciser. Pas besoin d'enjoliver ce que fait l'Union européenne. On peut s’en tenir aux faits. Certes, la France a donné 60 % du plan de relance. Mais 40 %, ce n’est pas négligeable, d’autant plus que pour verser cette somme, l’UE a fait quelque chose qu'elle n'avait jamais fait avant. Elle a emprunté sur les marchés.


Ça, c'est une nouveauté, une décision prise pour faire face à la crise COVID. Jusqu'à maintenant, tous les financiers, toutes les finances de l'Union européenne venaient des cotisations des pays membres et des taxes.


Là, il a été décidé que l'Union européenne emprunte sur les marchés pour pouvoir financer certains domaines cruciaux, notamment la relance. Donc, l’UE est capable d'évoluer. Certes, ça prend du temps. C'est peut être ça son problème central.



Et pourquoi cela prend-il autant de temps ?


On a déjà du mal à se mettre d'accord au niveau de la France. Au niveau de l'Union européenne, c'est 27 pays qui doivent trouver un accord. Ça prend du temps, et on ne peut pas compter en semaine ou en mois. C'est compliqué à comprendre, que l'évolution ne soit pas sur le même timing que ce dont on aurait besoin. Mais l’évolution est là.



Pour revenir aux élections,la méfiance vis-à-vis de l’UE est-elle la même dans toutes les régions ? Y a-t-il des lieux où l’on ressent plus les effets des politiques européennes ?


Les vraies différences se forment au niveau des pays. Si on regarde au niveau de l'Union européenne, il y a des pays avec une participation aux élections plus importante, parce que le vote y est obligatoire par exemple. Forcément, le taux de participation y sera plus proche de 80 %. Mais en termes de taux de participation, les pays d'Europe de l'Est sont généralement plus haut classé que l'Europe de l'Ouest. Peut-être que l'Union européenne leur permet de faire contre pouvoir par rapport aux gouvernements nationaux.


En France, je dirais que c'est une différence du taux de participation en fonction des catégories socio-professionnelles. Mais ça, je pense que c’est pareil pour les élections nationales aussi. Après, c’est mon analyse personnelle.


En plus, je pense que ceux qui votent pour les extrêmes vont aller voter, tandis que ceux qui ne sont pas forcément sûrs d’eux iront moins. En termes d'estimations pour les prochaines élections, je crois qu'on est 30 % en faveur de la liste RN en France, ce qui n’est pas mal. Et puis on a déjà eu un sursaut du nombre de députés RN en 2019.


Donc, plutôt qu’au niveau des régions, je verrai le problème de la participation au niveau des pays, et je pense que l’on peut relier ça aux problèmes de médiatisation de l'Union européenne. Dans certains pays, on va beaucoup plus mentionner ce qui vient de l'Union européenne alors que dans d'autres non. En plus, historiquement, c'est souvent des pays qui ont intégré l'Union européenne beaucoup plus tard que la participation aux élections est la plus forte. Donc ce sont des pays qui voient plus clairement l’effet des politiques européennes, notamment parce qu’ils ont connu des gouvernements peut-être un peu plus autoritaires. Si on réfléchit à la France, on sent moins l'action directe de l'Union européenne.



Y a-t-il un manque de contact avec les députés qui expliquerait cette frilosité ?


C’est compliqué parce que ça dépend de nos contacts avec les députés. Par exemple, l'année dernière, pendant le mois de mai, on a eu trois apéros avec des eurodéputés de trois partis différents dans un café. L'idée, c'était vraiment d'échanger sur leur métier, sur les dossiers sur lesquels ils ont travaillé. Voilà. D’autres structures peuvent aussi faire ça comme les mouvements des jeunes Européens parce qu’ils ont un poids. Pour le citoyen lambda, par contre,ça peut être compliqué, sauf si on a une question précise sur un domaine sur lequel le député va travailler et qu'on lui envoie une question.


Le problème pour nous, par contre, c'est qu'on doit être neutre. Donc on ne peut pas favoriser un parti politique par rapport à un autre. Il faut que ce soit la diversité. Si on invite, on invite tout le monde. C’est pour ça qu’on a invité plusieurs partis l'année dernière. Cette année, ce sera plus compliqué parce qu’il y a des élections. Donc ici, localement, on n'a pas prévu de débat parce qu'il faudrait qu'on invite tous les candidats de tous les partis et on n'a pas assez de contacts à l'heure actuelle. Mais il y a des débats qui vont être organisés pour les élections entre les différents partis, par différentes structures, pour pouvoir justement répondre aux questions. Après, il y a aussi la possibilité, au niveau des écoles, d'aller visiter le Parlement européen et de demander à ce que sur place, il y ait une rencontre avec un eurodéputé. Bien sûr, ils ne peuvent pas répondre à toutes les demandes.



Et pouvez-vous, en tant qu’acteur associatif, faire remonter des demandes jusqu’aux institutions européennes ? Existe-t-il un dialogue fort ?


Il n'y a pas vraiment de structures pour remonter l'information. Par contre, on est chapeauté au niveau de chaque pays par la représentation de la Commission. En France, elle est basée à Paris, donc c'est elle qui gère les centres Europe Direct en France. Si par exemple, nous, on voit au niveau local qu'il y a une thématique qui est problématique, où les gens n'ont pas forcément la bonne information ou ils ne sont pas d'accord avec des décisions qui ont été prises à ce moment-là, on peut faire remonter ça au niveau de la représentation. A ce moment-là, la représentation va faire remonter ça au niveau de la Commission à Bruxelles. Et puis on peut nous faire un retour.


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Une question plus personnelle pour finir : pourquoi vous être engagée pour l’UE ?


J'ai beaucoup bougé sur les onze dernières années. J'ai vécu à l'étranger et je ne conçois pas qu'on puisse vivre “en autarcie” dans le monde actuel. Dans le monde mondialisé, c'est impossible d'avoir du poids sans collaboration. On n'a pas suffisamment de population, n'est pas suffisamment grand, on n'a pas suffisamment de ressources et on l'a bien vu avec le COVID. Il y a des choses qu'on ne peut pas faire tout seul. Mais si on les fait au niveau de l'Union européenne, c'est envisageable, et c'est envisageable d'avoir un poids au niveau international et de faire bouger les choses pour nous.


On a dit que les politiques européennes sont compliquées à mettre en place. Mais voyons un peu : il y a plein de choses qu'on paye et qu'on ne produit pas en France. Si on n'avait pas cette collaboration avec d'autres pays, même simplement pour la nourriture, on devrait payer beaucoup plus de taxes, on devrait apporter beaucoup plus de choses. Oui, l’UE n’est pas parfaite, mais je ne suis pas sûre qu'on puisse arriver à un système parfait puisqu'on est très différents, donc on a tous des envies et des besoins différents. Forcément, il y a des choses qu'on peut toujours améliorer, mais il y a des choses qui marchent bien, ce serait bien de le voir.



Eva Montford



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